- Reagan Carrene.

Je ne suis qu'un seul individu parmi tant d'autres. Une future élève dans la masse des Premières Années à répartir. Une tête brune, à la tignasse emmêlée, aux yeux marrons clairs et à la respiration un peu saccadée. Pourtant, je ne stressais pas avant... Pas même quand j'ai quitté ma maison de Great Falls, dans le Montana, pour rejoindre le point de rendez-vous. Le départ. La rentrée. L'embarquement sur SalemFaster, le paquebot qui emmenait tous les étudiants à l'Institut. Il n'y avait pas grand monde... Mais bon, il faut dire que Great Falls est tout proche du départ de bateau, donc c'est normal. Il faut juste réussir à se lever tôt... Inutile de préciser que pour moi, c'était pas gagné. Flemmardise, quand tu nous tiens... J'ai quand même réussi à être au rendez-vous à temps [merci papa pour le transplanage d'escorte qui nous a fait gagner de précieuses secondes]. Et le lent et lassant voyage a commencé... Les …tats-Unis, c'est grand. Très grand. Il faut donc longtemps pour embarquer tous les élèves... Et les escales se sont succédé. Du Missouri, nous sommes enfin passés au Mississipi, pour enfin déboucher dans le Golfe du Mexique après le dernier arrêt. Et même à bord, alors que nous voguions en pleine mer vers l'Institut des Sorcières de Salem, je ne stressais pas.

- Vega Jarril.

Alors pourquoi maintenant ? Sans doute parce que le stress des autres imbéciles commence à être contagieux... Vega Jarril est envoyée à Flamandre, la Maison des Rouges et Argents. C'est bientôt mon tour. Un blondinet est appelé. Il ne faut pas que je stresse. Après tout, ça ne sert à rien. Dans n'importe quelle maison, je me plairai, je me ferai des amis, et j'assisterai malheureusement aux cours. Et oui. Je ne suis pas vraiment motivée par l'enseignement. Quand ça a un côté nouveau, ça peut peut-être plaire... Mais mes deux parents étant sorciers, la magie fait partie de mon monde. Cependant, j'avoue sans grande difficulté ignorer ce qui m'attend. L'Institut n'a rouvert ses portes qu'en 2066, et à cette date là, mes parents étaient trop vieux pour aller à l'école. Rapide calcul... Euh, 2079 moins 2066, ils devaient avoir... Environ 25 ans je dirais. Il faut dire que Salem avait fermé ses portes suite à la trop grande activité d'Ulbrich le Noir...

- Kathleen Jones.

C'est mon tour. D'un pas que j'essaye de rendre assez assuré, je me sépare d'une foule protectrice pour me retrouver confrontée à d'innombrables regards curieux. Pff ! Mais ils ne sont jamais lassés ceux-là ? C'est pourtant hyper monotone une répartition ! L'année prochaine, et les suivantes, je jure de ne pas regarder les petits nouveaux de cette manière. Ce sera une personne de moins susceptible de les déstabiliser... Et puis, comme ça, j'aurais une bonne excuse pour ne pas suivre. Ce genre de cérémonie, ça... m'endort.

Je suis parvenue à mon but. Je suis face à un autel de marbre blanc, assorti à la pièce toute entière. Et dessus, une boule de cristal. Pas plus grande que la main, alors que l'autel a au moins la taille d'un bureau. Disproportionné. Je grimace à la vue des fissures parcourant l'objet. Zut et rezut. Je suis censée toucher ce truc. Et si jamais j'appuyais trop fort et que le machin se brisait? Je serais bonne pour des poursuites... J'imagine déjà avoir dans mon casier magique une « Destruction de Biens Magiques Communautaires ». Beuh. Ça fait tâche. Néanmoins, j'appose ma main sur la boule de cristal en priant pour qu'elle ne tombe pas en miettes... Mais non. La chose résiste. Un sort de conservation de la matière ? Possible.

Aucune fissure n'apparaît en plus, mais un changement survient tout de même. L'espèce de fumée opaque que l'on retrouve dans toutes les boules de cristal du commerce se colore peu à peu. Une belle teinte verte pâle, striée de petites raies noires. Comme la glace à la menthe avec des éclats de chocolat. Miam. Ce sont les couleurs de Noiseuil, comme vient de le faire remarquer une personne à l'air revêche et aux cheveux blonds tirés en chignon. Ma future directrice. Non, ma directrice en fait. Melindra Noiseuil en personne, la descendante de l'une des Fondatrices. J'esquisse un sourire, et vais rejoindre la masse verte et noire qui patiente dans un coin de la salle. Bon, au moins, c'est fait. Soulagée, je me fonds de nouveau dans la masse, échappant aux regards insistants, qui sont maintenant dirigés vers quelqu'un d'autre. Le temps passe, les élèves défilent... Ennuyant, comme prévu. Je peine à tenir les paupières ouvertes quand les conversations discrètes de mes voisines cessent d'un coup. Elles se tournent vers celui qui doit être réparti. Je n'ai pas entendu son nom. Pas concentrée. Pas nécessaire. Il a les yeux bleus très clairs, et les cheveux noir corbeau. Il est réparti à Maremout, et une conversation effrénée naît entre les deux commères.

- T'as vu ? C'est comme avec les jumeaux Madloch. La même chose !
- Oui, j'ai vu... C'est bizarre quand même. Dis, tu penses que leur frère est aussi étrange qu'eux ?
- Je sais pas, on verra bien dans les mois qui vont venir! Mais vu que lui aussi à réussi à faire hésiter la boule... Flamandre ou Maremout ? Et au final, tous les Madloch sont partis chez les Violets et Or...

Elles se mettent à glousser discrètement alors que je me détourne d'elles. Je ne comprends pas. Et ce que je ne comprends pas ne m'intéresse pas. Une fille blonde vient se poster à côté de moi. Elle vient d'être répartie à Noiseuil, comme moi, et semble décidée à lier amitié avec moi. Vu que je ne connais personne, j'accepte de bonne grâce une petite discussion. Au moins, je ne m'endormirai pas. Et puis, elle semble sympathique. Les apparences sont parfois trompeuses... N'ayant rien suivi à la répartition, j'apprends qu'elle s'appelle Helen. Elle, elle sait déjà mon prénom. Studieuse ?

Et enfin, enfin ! La répartition prends fin lorsque Antarès Waller, une fille bizarre aux cheveux verts est envoyée dans ma maison. Bref, vive Noiseuil, on est les meilleurs, on va éclater les autres pendant l'année, et blablabla...

C'est néanmoins enthousiastes que nous partons tous en direction de la salle à manger. Enfin... Du côté des Premières Années, on suit plutôt, vu qu'on ne sait absolument pas où se trouve cette salle miraculeuse qui peut subvenir aux besoins inouïs de nos estomacs. A table !

Sous mes mains, la boule de cristal de Salem avait d'abord émis une faible lumière rouge, conférant un pâle halo rougeâtre à la fumée grise circulant sous le verre. Et puis, tout d'un coup, avant que le rouge n'ait pu se parer de fins liserés argentés, le violet l'avait supplanté, muni d'éclats d'or. Et la joie avait envahi mon cœur.

Il faut aussi me comprendre. Mes deux aînés sont jumeaux. Orion et Cassiopée. Comme eux, je possède des yeux bleus, et des cheveux noirs. Et même si la ressemblance physique est là, je ne peux prétendre être plus que Cassiopée pour mon frère. C'est vrai aussi pour ma sœur. Comme tous les jumeaux, les Madloch ont tissé une espèce de lien particulier, qui ne regarde qu'eux, et qui ne peut être compris que par eux. Une sorte de langage unique et privé. J'ai beaucoup souffert de cet isolement durant ma jeunesse. J'imagine que ce n'était pas voulu. Mais le résultat est là tout de même... Alors savoir que nous sommes assez proches psychologiquement pour que la boule de cristal ait les mêmes interrogations que pour mes jumeaux, ça me réconforte...

Soulagé, je fais demi tour et rejoins d'un pas monotone mes aînés. Ils sont au même niveau que tout ceux de la maison du Mouton Ailé, et pourtant... Pourtant, on jurerait qu'ils font bande à part. …Eloignés d'un seul pas de la masse violette et dorée, ils sont muets, contrairement aux groupes d'étudiants bavards. Mais à force de vivre à leurs côtés, j'ai appris à décoder certains gestes, certaines mimiques. Orion hoche la tête une fois lorsque je le rejoins, alors que Cassiopée m'offre un sourire. Ils sont heureux. Heureux de ma présence, heureux du résultat qui vient de tomber.

Mes lèvres s'étirent doucement alors que je me retourne pour assister à la suite de la répartition. Je vois les élèves défiler, et pourtant, il ne semble s'agir que d'images vagues... Mes pensées sont occupées. Ils ont l'air d'aller bien... Du moins, autant que d'habitude. Pourtant, du point de vue de leurs camardes d'école, ils doivent avoir l'air bizarre. Bizarres... Ils ne le sont pas. Ils ne sont juste plus qu'une sorte de machine aux rouages parfaitement huilés, destinés à accomplir leur but ultime. Mais pour cela, la marche est longue. Longue et parsemée d'embûches. Et ce qu'ils sont devenus, c'est l'œuvre de mon père. Je frissonne rien qu'à la remontée d'un souvenir fugace que je m'applique à ré-enterrer de suite au plus profond de moi même. Pas aujourd'hui. Ils n'en ont pas vraiment conscience je pense. J'imagine qu'avoir vu ce que mon père avait fait d'eux, avant qu'il ne s'intéresse à moi quand mes pouvoirs sorciers sont apparus, a dû m'aider. M'aider à comprendre qu'en réalité, mon père ne nous aime pas. Il nous a haï de toute son âme lorsqu'il a compris ce que nous étions, tous les trois. Et pourtant, il nous ment, nous mène en bateau. Nous ne sommes qu'une arme pour lui. Une arme dont il ne peut se passer pour mener à bien son projet. Mais si eux l'ignorent, moi, je sais. J'ai deviné. Mais je ne peux m'empêcher d'y adhérer. Y adhérer parce que d'une, je me fiche complètement des conséquences... Mais y adhérer surtout pour ne plus être laissé de côté... Une chevelure verte me tire de mes pensées. … Etrange. Une métamorphomage dans mon année ? Un court instant, mon regard apprécie la finesse de ses traits, sa peau blanche, sa cascade de cheveux verts et ses yeux d'émeraude. Je retiens son nom, et constate qu'Antarès [pas mal...J'apprécie la sonorité.] est envoyée à Noiseuil. Bon... Je la verrais en cours. Sa répartition clôt le défilé d'élèves. La boule de cristal perd son utilité, et ne sera réclamée que dans un an. De quoi avoir de bien belles vacances pour l'objet magique.

Elianor Flamandre, la directrice aux cheveux roux bouclés agite machinalement sa baguette, et le sol à l'autre bout de la pièce coulisse, pour laisser apparaître des escaliers en colimaçon, assez larges pour laisser descendre cinq élèves de front. Sans un regard derrière moi, je quitte le quai de débarquement en bois, la petite allée dallée qui coupe une plage blanche, la porte d'entrée somptueuse de marbre blanc et cette pièce destinée uniquement à une répartition sommaire. Alors que je m'enfonce dans les profondeurs de l'escalier en suivant les Madloch, je ricane silencieusement. Je connais déjà toute l'île des Bermudes, alors que je n'y ai jamais posé les pieds avant aujourd'hui. Les jumeaux m'ont tout expliqué, en détail. Car il faut que notre plan se déroule sans accroc...

La plage de débarquement au Nord de l'île, la pièce de répartition. Un long tunnel qui la relie à l'Institut, permettant de franchir sans difficulté la chaîne de montagne qui coupe l'île en deux. Il ne faut pas s'en approcher, car quelques Dents-de-Vipère du Pérou y ont été importées il y a plusieurs siècles. Les sorciers ont profité des barrières magiques mises en place pour cacher les dragons aux Moldus. Les barrières sont sacrément efficaces d'ailleurs. Tout engin moldu entrant dans la zone écope d'un accident. Efficace mais dangereux. Au point que les Moldus ont nommé la zone le Triangle des Bermudes... Enfin, pour revenir aux dragons, heureusement, qu'ils n'ont pas beaucoup proliféré, cette espèce apprécie beaucoup les humains au petit déjeuner...
Et de l'autre côté de l'île, au Sud, se trouve l'Institut, en forme de « T ». Haut de trois étages, muni d'un sous-sol, l'endroit est surtout très large. Dans l'aile Ouest logent les Flamandres. L'aile Est abrite bibliothèque, infirmerie, salle à manger, cuisine, etc... Et dans l'aile Sud, se déroulent les cours. Les Maremouts logent dans un superbe gallion échoué sur l'île qui a été déplacé jusqu'au lac après avoir été remis en état. Les Noiseuils, eux, bénéficient de pavillons sur le rebord de la plage sud, à proximité de l'école, tout près du terrain de Quodpot. Car l'île montagneuse a contraint les Fondatrices à implanter les quatre anneaux d'argent dans l'eau, et à faire construire des tribunes flottantes. Mais bon, la théorie c'est bien, mais la pratique c'est mieux. Et j'ai tout de même hâte de voir tout ça de mes propres yeux.

Arrivés au bas de l'escalier en colimaçon, des wagonnets magiques nous assurent le transport jusqu'à l'Institut. Laissant mes peurs idiotes, je grimpe dedans, me promettant toutefois de regarder la route et ses zigzags, annonciateurs de jolis maux de ventre. L'engin attend patiemment d'être plein et se met en branle doucement pour accélérer furieusement dès le premier virage...

Si j'avais faim avant, ce n'est plus le cas du tout. Tremblant sur mes jambes en coton, j'avance néanmoins, et m'étale sur le banc, à la table des Maremouts. Que le dîner arrive, et que je puisse enfin aller me coucher... Peu à peu, la salle se remplit d'élèves. Voyant les différentes couleurs crier au monde entier leur appartenance à telle ou telle maison, je me force à me rappeler ce que les jumeaux m'ont dit à propos des Maisons...

Flamandre, dont les couleurs sont le rouge et l'argent, possède une Salamandre Blanche comme emblème. On les dit ambitieux, espiègles, bavards, sociables mais aussi capables d'ironie, de cynisme et d'orgueil. Il semblerait qu'ils n'hésitent pas trop à se rebeller contre l'autorité et qu'ils peuvent fédérer facilement autour d'eux. Ma sœur les juge irresponsables, Orion, désorganisés et autoritaires par moment.

Ah. Les entrées commencent à apparaître à notre table. Certains, affamés, se jettent dessus. De mon côté, encore marqué par mon wagonnet magique un peu trop turbulent à mon goût, je pioche négligemment du côté des salades et tomates. Un peu de maïs ? Mais oui, mais oui... Relevant la tête, une crinière verte attire mon regard. Il est vrai qu'elle ne passe pas inaperçue, que la table de sa maison est juste à côté de la mienne, mais tout de même ! Enervé de penser autant à la fameuse Antarès, je ne parviens pas à ne pas me demander qui elle peut être...

Noiseuil, c'est la maison des verts et noirs. L'Epicors se trouve sur leur blason. C'est une espèce d'écureuil possédant trois queues touffues. Il est le gardien des forêts... Il y en a une au pied des montagnes, sur le versant Sud d'ailleurs, si ma mémoire est bonne. Curieux, francs, loyaux, ils n'en sont pas moins têtus, obstinés et susceptibles selon Orion. Cassiopée a un avis plus positif de cette maison, et m'a déclaré qu'elle les voyait décidés, fonceurs mais disponibles pour les autres et dotés d'un sens de l'humour assez développé. Rêveurs et étourdis, ils sont fiables, mais peuvent être distraits. Vu la conversation que j'ai surprise durant le trajet entre deux Noiseuils, je les trouve plutôt critiques... Cassiopée prétend qu'ils se fient à leurs instincts. Allons bon. Pourvu qu'Antarès n'ait que les qualités de cette maison... Mais... Qu'est-ce que j'en ai à faire de cette greluche moi ?!

Boudeur, je pique sauvagement une tomate avant de l'avaler sans plus de cérémonie. Pourtant, cela ne me ressemble pas. Comme mes aînés, je suis la plupart du temps digne d'être un objet dénué de sentiments... Il paraît que Maremout rassemble ceux qui sont timides, rusés, manipulateurs, individualistes, prévoyants, raisonnables, studieux, discrets... Ceux qui, faute de courage, préfèrent œuvrer dans l'ombre. C'est ce que j'en ai déduis en tout cas. Cela me ressemble t-il ? Je ne sais pas... Et je ne suis pas sûr de le savoir un jour. Le dîner continue, et j'essaye de ne penser à rien d'autre qu'à manger. Pas envie de me réveiller à trois heures du matin avec un estomac qui gargouille... Les minutes s'écoulent.

Les minutes ont passé, et la salle se vide peu à peu. J'ai rejoint le gallion avec les autres Maremouts, et j'ai trouvé mon dortoir. Le bateau a été agrandi par magie, les pièces sont immenses. Je partagerai mon dortoir avec Federico Vasquez, un type d'origine mexicaine il me semble, Luyten Hodges, un blond, et Pollux Hampton, un grand brun. Un cinquième aurait dû venir, mais ses parents ont décidé à la dernière minute qu'il n'irait pas à Salem. Dommage pour lui. J'espère que mes camarades seront sympa. A voir. En fait, je m'en fiche un peu...
Je suis Rigel Madloch, et je n'ai besoin de rien ni de personne de plus que ce que j'ai déjà !